38 L’iTINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE d’au-dessus est un étang shakespearien, d’un vert lucide, où flotte la transparence d’Ariel. Il en est qui ressemblent à des alcôves pleines de la musique délicieuse des sources. Il en est qui s’épanchent en torrents sous des transepts illuminés par le vitrail des verdures. Quand on les domine du haut des falaises qui, vers l’ouest, suspendent les futaies au-dessus des cascades, on n’entend que leur immense symphonie, la même dont le premier accord s’éleva, le second jour de la Genèse, lorsque le Seigneur sépara les eaux de la terre. Matinée de flânerie dans une solitude bruissante. On s’y retrouve magdalénien ou édénique, on plonge du haut des branches dans une eau fraîche, onctueuse, si claire qu’on peut suivre dans les fonds la fuite des écrevisses. Le ciel est au-dessus, d’un bleu lisse et brillant, de petits nuages floconneux accrochés aux ramures. * * * Nous déjeunons à la Tergovina Itchitch, une baraque en bois qui domine les grandes ondulations de la forêt et des eaux. Le patron a la tête classique du zouave barbu, coiffé de la toque croate, la kapa noire et rouge. Au dessert, il vient s’asseoir à notre table, avec un instrument de musique que je ne connais pas. Je rencontre ainsi, pour la première fois, la guzla1 chère à Mérimée. Elle a la forme d’une grande cuiller de deux pieds de long, faite d’un seul morceau de bois travaillé au couteau. Le bout du manche est orné d’un motif populaire, le plus souvent une tête de chèvre aux cornes ramenées sur l’encclure. Le cuilleron est recouvert d’une peau tendue sur laquelle s’appuie un chevalet de bois 1. Prononcer gousla,