DE SPLIT A RAGUSE 69 rais de la Néretva, pays de fièvre coupé de pâturages. On voit parmi les bêtes les bergers couverts de grandes capes de peau de chèvre à longs poils noirs, qui les rendent pareils à des bisons. Les femmes qu’on rencontre sur la route portent le costume orthodoxe de l’Hertzégovine : corsage de toile blanche, à larges manches; gilet de laine noire qui ne couvre que le dos et est maintenu par des bretelles contournant les épaules; jupe de toile blanche, très courte, laissant dépasser des culottes bouffantes en laine de même couleur; bas noirs et opanké trop larges faisant des pieds énormes. Le tablier qui, dans toute la Yougoslavie, distingue les femmes orthodoxes, est de satinette ou de coton, et toujours noir. Sur la tête un fichu de laine à frange, dans les rouges vifs. Seuls le blanc et le rouge frappent les yeux. Dans la lumière sèche de la contrée, ce costume, aussi laid soit-il, fait une floraison éclatante. Metkovitch, où l’on arrive par la jetée, est un petit port fluvial de rien du tout. Le marché offre des poulets à trois francs la paire, des œufs à un franc la douzaine et des fruits magnifiques à six sous le kilo. Ce sont les prix de ce pays de Cocagne où tout est pour rien. A Bitoli, dans la Macédoine, j’ai acheté un mouton entier pour sept francs et j’en ai revendu la peau pour quarante sous. La première fois que Marie-Jeanne est entrée dans une boucherie pour y acheter, comme à Paris, un franc de foie, le déjeuner du Puma, on lui a tendu un foie entier. La ration du Puma est descendue à deux sous. Encore en laisse-t-il... De Metkovitch à Raguse, il y a deux routes. Je les ai suivies toutes les deux quatre ou cinq fois. Celle qui s’éloigne vers Mostar n’est pas mauvaise mais semble interminable. Elle touche un petit bourg musulman plein d’ombre et d’eau, Stolatz, où j’ai rencontré Meh-medbachitch, le dernier survivant des conjurés de Sa-