RAGUSE 83 nous ne pouvions pas laisser mourir de faim ces petites bêtes. Mais c’était une charge bien grande pour le couvent, et après tout nous n’étions pas seuls chrétiens à Raguse... Il y eut donc réunion du chapitre. On y parla des chats et de leur destin. Et quand les pauvres gens, le lendemain, vinrent présenter leurs bêtes, le Père Spas leur dit : — Mes chers enfants, nous comprenons vos peines mais nous ne pouvons pas être seuls à les soulager. Nous sommes des Pères Bruns, nous voulons donc bien nous charger des chats bruns, roux ou jaunes, mais allez porter les chats blancs aux Pères Blancs et les noirs aux Jésuites. Il riait de nous voir rire, il disait en ouvrant les mains : — Voilà pourquoi vous ne voyez que des chats roux! Je n’ai pas besoin de dire que je n’ai pas vu un ehat blanc chez les Dominicains. Bien qu’ils soient gens d’étude, ils n’aiment pas les chats. Aussi le bonheur de la vie s’est-il retiré de leur couvent. Leur cloître est fait de pierres lavées et d’arbres sans ombre. Un beau puits à colonnes jumelées attend vainement l’eau du ciel. Quant aux Jésuites, on m’a dit qu’ils avaient encore quelques chats noirs, et même des çhats bigarrés, ce qui va bien, sinon avec leur robe, du moins avec leurs principes. * *» Mes flâneries me ramènent souvent dans cette ulitza de Prijeko, la seule rue de Raguse qui ait résisté tout entière au tremblement de terre du xvu« siècle. Longue et étroite, bordée de hautes maisons, une église la ferme à chaque bout. De vieux ceps de vigne sortent du