220 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE * ** Avec T... et sa charmante femme, nous faisons la tournée des cabarets à tziganes. Il y en a un peu partout et pour toutes les classes. Ce sont d’ailleurs les seules distractions nocturnes de la ville. Les plus chics sont dans le centre et ont le visage international des boîtes de nuit. Quarante-deuxième rue de New-York, Pigalle de Paris, Chikouyo de Tokio, Maxim’s de Lisbonne, c’est toujours la même atmosphère d’ennui tarifé. J’aime mieux les autres, les populaires, ceux de la Kralia Aleksandra, qui est la route de Smédérévo. Elle commence solennellement, par de grands bâtiments prétentieux, mais à mesure qu’elle s’allonge, elle se transforme en chaussée de village. Les cabarets sont ouverts sur la rue; parfois même la chanteuse et les musiciens occupent une estrade sur le trottoir. Toutes les tables ont leurs clients, mais le vrai public est dans la rue, une foule de pauvres gens qui recueillent avec dévotion les miettes musicales. Un seul agent les maintient à distance en étendant à droite et à gauche la ligne horizontale de son autorité absolue. Le spectacle est le même que dans les autres villes du pays, Zagreb, Skoplié, Raguse, Sarajevo. C’est le plus souvent une jeune femme qui chante, accompagnée par un petit orchestre d’instruments à cordes. Elle porte rarement le costume de la région, quelquefois, dans le sud, une turquerie de carnaval, mais presque toujours une longue robe du soir très décolletée. Elle a en main un large tambour de basque, le dakhiré, garni de cym-balettes de cuivre, dernier souvenir de l’ancienne Turquie. Elle chante d’une voix rauque et masculine qui tout