SARAJEVO 247 musiciens, ne marquaient aucune curiosité devant ce spectacle inattendu, car la politesse musulmane est faite de ces nuances. Il est probable qu’ils en ont parlé toute la nuit, mais pendant que nous étions là, pas un regard, pas un sourire ne les a trahis. Quand nous nous sommes retrouvés tous les trois dans la rue, Marie-Jeanne lui a mis dans la main une belle pièce de cinquante dinars, ce qu’un homme ne lui aurait pas donné pour toute une nuit. On ne voyait rien de son visage de nouveau muré par le voile noir, mais elle restait immobile, le poing fermé sur la pièce d’argent, et l’on devinait ses yeux d’enfant étonnés. Puis elle m’a pris les mains, les miennes, pas celles de Marie-Jeanne, et elle les a baisées au moins dix fois. C’est ainsi que faisait la vieille baba à qui je donnais l’aumône à travers la grille, à Raguse. J’en ai rougi jusqu’aux oreilles, car enfin cette petite fille n’avait aucune raison de s’humilier. * ** Nous passons des heures dans la boutique de Mous-tafa Hasanovitch à contempler les merveilles que son père et lui ont rassemblées dans cette petite maison de la Tcharchiya qui date certainement des vizirs de Travnik. C’est un beau jeune homme de pure race bosniaque. Il parle français avec l’accent anglais, parce qu’il a passé dix ans de son enfance à Londres et un an à Paris. II nous montre sans se lasser les admirables jaglouks entièrement brodés d’or sur soie jaune, avec des aiguilles si fines que la broderie se fond dans l’étoffe; d’autres qui figurent des jardins de Damas ou d’Ispahan dont toutes les fleurs sont des paillettes; des faïences à reflets métalliques; des bijoux étranges, comme des