122 L'ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE une femme! — au chef, le prieur si l’on veut, du grand monastère. L’higoumène parle un français correct. Il nous invite à prendre le café à la terrasse de notre hôtel. C’est un bel homme aux longs cheveux bouclés, la barbe en fleuve, noire et bien taillée, des dents splendides, des mains aristocratiques, quarante ans. Il parle d’une voix claire, avec autorité. On le sent maître incontesté du pays. Les monastères, depuis la libération des Slaves, ont un pouvoir suzerain. — A partir de ce moment, vous êtes mes hôtes. Nous nous embarquons tous trois dans la voiture. Oui-comme-chéval m’embrasse longuement, comme le font les gens d’ici, joue contre joue, les mains passées dans le dos du copain, en grognant. Quand nous démarrons, il court à côté de la portière : — Do vidjénia! (Au revoir!) Do vidjénia! Je lui tends la main par la fenêtre, et il continue à courir en tenant ma main dans les siennes. Le bon bougre a les yeux pleins de larmes. Moi aussi d’ailleurs. Il me lâche enfin, et pendant que nous nous éloignons je l’entends crier d’une voix rauque : — Oui comme chéval, priatéliou! Tout ce qu’il sait de français et son amitié... J’aceélère pour ne plus l’entendre. Champs de blé, la moisson. Les paysans travaillent par équipes, longues lignes de silhouettes toutes blanches parmi les chaumes. Le labeur des champs en est simplifié et égayé. J’entends la cadence des chansons qui animent les faucilles, car ils ignorent la faulx. Ils font eux-mêmes tous leurs instruments. La charrue n’est qu’un bâton. La femme tire avec le bœuf. Elle est habituée à ce rôle de bétail. Elle fait aussi des enfants. Le Père Déonitié me parle de Detchani. C’est un monastère richissime : un million de revenus bancaires, plus les fermages ou le produit des terres et des forêts,