RAGUSE 85 Les femmes mariées se distinguent par une grande coiffe blanche de moniale, de toile empesée, dont les ailes sont libres, et par un tablier bordé, au bas, d’un large dessin de tapisserie. Rien n’est plus gai ni plus gracieux que ce frais costume de la haute vallée. Malheureusement, comme tous ceux des provinces catholiques et orthodoxes, il tend à disparaître, et d’ici quelques années le marché de Raguse perdra cette lumière, comme se sont éteints les marchés de France, d’Espagne et d’Italie. Le gris-noir européen, imaginé par la saleté universelle, remplira cette place délicieuse. Elle est déjà déshonorée par une affreuse statue de Gundulitch. Je n’ignore pas ce qu’est ce grand poète pour le Doubrovnik slave. Au xvne siècle il a déjà célébré, dans son poème Doubravka, la libération des Slaves du Sud. La tolérance autrichienne a laissé édifier ce monument de révolte. Au point de vue esthétique, elle a eu bien tort. En dépit des pigeons qui perchent sur sa tête, c’est un épouvantail. Serait-elle admirable, et Mes-trovitch s’en fût-il une fois de plus mêlé, que cela ne vaudrait pas mieux. Raguse est une ville qui ne supporte pas une statue. On m’a bien promis de transporter celle-ci dans un faubourg quelconque, mais je n’y compte pas trop. Si j’avais à dépeindre cette Raguse à la fois slave et stendhalienne dont je ne pourrai presque rien dire ici, je raconterais longuement la mort du dernier Gundulitch. Cet homme riche et usé, qui ne sortait plus de son palais, est descendu, un jour, acheter deux grands cierges de cire. Il est rentré chez lui, les a plantés dans des torchères de cuivre, les a allumés de chaque côté de son lit. Puis il a revêtu son costume de soirée, habit, plastron, souliers vernis, la cravate de commandeur autour du cou, Enfin, s’étant couché sur le lit, entre les