DE BELGRADE A SARAJEVO 233 ces villages serbes, à la frontière des deux provinces. La façade, souvent vernie, a une chaude couleur maritime. Le toit, quand il est neuf, blanc comme l’argent, devient noir en vieillissant. Ces maisons s’incorporent au paysage, retrouvent le sentiment de la forêt. Près de Vardichté, l’orage d’hier a entraîné les terres de la montagne. Un monticule de glaise mêlée de pierres et de branches barre la route. Je remonte au varoch pour rassembler une équipe. Nous revenons, une vingtaine, chargés de pelles, de pioches et de bouteilles de raki. Trois heures de travail sous un soleil presque vertical creusent dans l’avalanche une tranchée juste assez large pour laisser passer la voiture. Mon équipe, saturée d’eau-de-vie, salue notre départ de vigoureux « Sbogôm! », les calots serbes à bout de bras, et nous descendons vers le cañón du Tserni Rzav qui sépare la Serbie de la Bosnie. Il est si resserré que la route est presque toujours en tunnel. De hautes falaises le plongent, même à midi, dans un demi-jour de cave que la rivière remplit de son tumulte. Les arbres s’étirent avidement vers la lumière qui blanchit là-haut, entre deux corniches de granit. Tout à coup la porte s’ouvre sur un autre monde. Rien de plus net que ce passage, sans transition, de l’esprit serbe à l’esprit musulman. A la sortie même du défilé, un couple est assis sur le bord de la route. L’homme porte le fez, la femme est empaquetée dans le dzar de coton, le visage voilé de noir. Un cimetière turc pousse dans les hautes herbes ses pierres de guingois. Par-dessus les arbres d’un verger, une petite mosquée dresse son minaret de planches. En même temps la route redevient exécrable. Heureusement! Elle commençait à me manquer... Je retrouve avec plaisir ses dos d’âne, ses cassis, ses ponts de bois, ses cailloux et sa poussière.