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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
d’ocre et de carmin, un décor d’îles et de lacs maritimes qui enferme la vieille cité vénitienne.
  Elle n’est pas, comme Zara et Troghir, bâtie sur une île plate, elle s’accroche à la déclivité rapide d’une colline. Elle est tout en rampes, en escaliers, en raidillons. Pas une perspective qui ne soit projetée vers le ciel ou la mer. Ses ruelles sombres chevauchent ou contournent les nodosités du terrain. Elles s’étranglent parfois sous des voûtes ou forment à leurs carrefours des places minuscules. Toutes les rues dévalent vers le port, immense esplanade vide où le soleil rage de tous ses feux.
  Petite ville robuste, ornée lourdement comme les courtisanes de Carpaccio. Les maisons, les églises, sont décorées de reliefs cossus, ornements compliqués, personnages trapus, le cou dans les épaules. Je trouve ici, comme à Troghir, comme dans ma maison de l’Ombla, cet étrange goût dalmate pour les visages grimaçants, alignés sous les corniches ou en culs-de-lampe au bas des voûtes.
  Bien entendu, le pittoresque vénitien fleurit aux fenêtres à colonnettes, dans les balcons aux rampes ajourées comme des dentelles au crochet, dans les consoles ouvragées et les corbeaux militaires. Une petite église dont je ne sais pas le nom montre, sous des arcades jumelles, deux cloches vertes accoudées à des balcons renflés, parmi le rococo d’un pignon à volutes. La petite place qui longe la cathédrale est enrichie, à la manière de Radovân, d’une ornementation barbare qui participe de la flore et du bestiaire.
  Du parvis, nous regardons le marché qui se tient près de la terrasse, sous des arbres sans ombre. Quelques paysannes portent l’ancien costume de la région, qu’on ne trouve plus que dans la Svilaja. Mais celui de Chibé-nik même, si vivace encore il y a vingt-cinq ans, a dis-