RAGUSE 77 lagunes ont créé pour montrer leur opulence. Rien, par contre, de l’ampleur et de la majesté de Venise, mais une intimité et une harmonie que celle-ci ne connaît pas. Rien, enfin, du pittoresque vénitien, méandres de canaux et de ruelles, imprévu des échappées. Raguse est construite sur un plan strict, dans un esprit classique, même du côté du large où la falaise et le rempart la ferment en cul-de-sac. Presque toutes les rues se coupent à angle droit. Mais la disposition des places, des monuments, est si heureuse qu’elle apporte à cette cité presque géométrique une variété d’aspect qui la renouvelle à chaque instant. C’est une très petite ville. Elle n’est pas beaucoup plus grande que l’île Saint-Louis de Paris, peut-être un peu moins longue, un peu plus large. Mais il n’est pas une maison qui n’ait une âme, parfois collective, comme celle du Stradoun, le plus souvent toute personnelle, fière, aristocratique. Peu d’ornements. La proportion des façades, la disposition des fenêtres, des balcons et des corniches suffisent, avec la qualité de la pierre, à créer de la beauté. J’ai été longtemps à la connaître. A chaque instant je découvrais un motif, une perspective, que je n’avais pas vus, même dans les endroits où j’étais passé souvent. Ce n’est pas une ville qui se donne tout de suite au premier venu. Je pense qu’on peut y passer une semaine sans la voir, peut-être parce qu’on la regarde. Je sais qu’on ne voit bien certaines villes que lorsqu’on ne les regarde plus. C’est alors seulement qu’elles s’adressent à notre cœur. J’aime celle-ci d’une ardeur spirituelle, sentimentale et sensuelle. J’éprouve à la contempler, je dirais presque à la toucher des yeux, une joie profonde qui se renouvelle incessamment comme le plus bel amour.