DE BITOLI A SKOPLIÉ 191 coup de femmes tziganes ont le pantalon turc à mille plis et un boléro très ouvert qui laisse voir le profil des seins : c’est ravissant quand les seins ont un profil. Ma pénitence, au milieu du bonheur de vivre, c’est ce métier d’écrivain qui m’oblige à prendre des notes. Je suis donc assis sur le seuil d’une boutique et je griffonne dans mon carnet. Marie-Jeanne est à quelques pas, debout contre un mur. Sort de son échoppe un vieux musulman qui l’interpelle : — Petite fille, il y a ici une chaise, porte-la à ton homme ! Cher disciple de Mohammed! que ta parole est douce et pleine de sagesse! Pas un instant tu n’as pensé, comme chez nous, à offrir la chaise à ma femme, et pas plus à me la porter toi-même, puisqu’il y avait une femme pour la porter. Tu sais que ma fatigue est noble, car je suis le chef de famille, le maître et le guerrier, le savant qui sait lire dans les livres et tracer des caractères sur le papier. J’ai acheté ma femme le prix du mariage pour être honoré et servi par elle. Ta logique, vieux musulman, est inépuisable! Et Marie-Jeanne l’a si bien compris qu’elle m’apporte la chaise en disant : — Le salâm sur ta tête, ô fils de l’oncle! Cette reconnaissance des lois éternelles vaut une récompense. Nous nous mettons en quête d’un de ces splendides costumes de la plaine. Un detchko1 nous conduit chez une paysanne qui « peut-être... cela dépend... il faut voir». Nous connaissons l’affaire. Il est très difficile de les résoudre à vendre leurs vêtements, même s’ils ont besoin d’argent. Nous avons offert jusqu’à deux cents dinars à une bergère d’Hertzégovine pour un châle de soie qu’elle portait sur elle : deux 1. Galopin, chico espagnol, ragazzo italien.