DE ZARA A TROGHIR 51 vers les chutes. Il est dépouillé de tout caractère humain, sans traces d’habitation, de cultures, ni même de sentiers, fait de collines grises dont les pentes abaissent lentement des pointes successives dans une sorte de lac d’un bleu métallique, celui qu’on voit aux ailes des grands papillons tropicaux. Aux abords de la chute, cette eau lisse et brillante est couverte d’îlots d’un vert éclatant, presque tous de forme ronde. Les couleurs sont si fraîches et si unies qu’on les croirait étalées sous une vitre, à la manière des peintures persanes. Et la composition, inséparable de la couleur, est d’une harmonie si juste qu’il serait impossible d’en déplacer la moindre surface. Au bas de la route, c’est le fracas des eaux blanches dans une gorge profonde, au milieu d’une végétation dense et crépue comme un tapis de haute laine. La montagne aride tombe à pic dans cette inondation de feuillage. Tout est mort autour de la vie opulente et tumultueuse de la rivière. Un vieil homme qui a des gestes de sacristain nous mène par des sentiers compliqués à tous les étages de la chute. Chaque fois, il écarte les bras, comme on ouvre un rideau, et admire ces cataractes dont il connaît les moindres bonds. Il n’attend pas notre approbation, il est rempli de son extase. Il nous crie dans l’oreille des choses qui se perdent au milieu du vacarme des eaux. Il contemple leur déclin magnifique. Cela ne m’émeut guère. C’est sans doute tant pis pour moi. Je connais l’ennui du grandiose. Je rêve de me coucher sur l’herbe près d’un ruisseau qui chantonne. * * * L’arrivée au-dessus de Chibénik, dans un éblouissant midi, fait surgir, au tournant de la route, entre des forts