150 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE mer. En Macédoine, on faisait la vraie guerre, après tout, celle des livres d’images, et le Kaïmakchalân est une bataille héroïque, comme dans les poèmes qu’on chante ici sur la guzla. Certainement, ils sont tombés avec moins de tristesse qu’en Flandre ou en Champagne. L’aventure, dans ces pays remplis de femmes en robes brodées, hérissés de minarets... On poursuivait l’Autrichien et le Bulgare à cinq à l’heure. La victoire pétait comme la grenade mûre. Ils sont tombés... Il y a d’ici à Paris deux mille cinq cents kilomètres de route, six jours de chemin de fer ou de bateau. Ceux qui sont là, bien sûr, ils avaient tous une mère, une femme ou une bonne amie. Combien de celles-là ont pu venir pleurer sur une tombe ? Un long voyage c’est long, et ça coûte très cher... Seulement la France et son esprit se transportent plus facilement. Elle a envoyé les plantes de ses jardins, elle a fait de ce cimetière une roseraie. De Bagatelle à Skoplié... Et il y a là un consul qui s’appelle M. Gyse, je crois. Il vient chaque jour bêcher, tailler, sarcler. Il y met de ses sous, bien que la France envoie de l’argent. C’est un homme taciturne qui n’aime que ses morts. Il n’y a pas un pouce de terrain qu’il ne visite. Aussi quelle netteté! Pas un brin d’herbe sous les roses, pas un pétale dans les allées. A chaque instant la main de ce Français vient remuer les plantes, comme pour dire: On est là! on pense à vous! Je suis très ému, bien que la vie m’ait appris à ne plus l’être. Ce ne sont pas les morts : en vieillissant on s’y habitue... Mais c’est si loin sur la terre, si loin des bourgs où l’on boit du vin, de la bière ou du pastis, si loin de l’église d’ardoises, du cours de platanes et du cabaret, si loin des chères habitudes; et si loin dans la guerre — septembre, octobre, novembre 1918 — si loin