DE STOUDÉNITZA A BELGRADE 213 * ** A Belgrade, notre appétit de vagabondage ne s’est pas encore calmé, d’autant plus que nous y entrons un dimanche, jour néfaste où les villes perdent leur véritable caractère. Aussi déposons-nous le ministre et l’armateur devant leurs portes, et filons-nous par la route de l’est qui à Grotzka rencontre le Danube. Il n’est pas bleu, il n’est jamais bleu, il est toujours jaunâtre, même en plein été. C’est une énorme masse, large comme un estuaire, le seul fleuve d’Europe qui mérite ce nom. La rive droite est une haute falaise terreuse que ronge sans cesse un courant impétueux. La rive gauche, très loin devant nous, est la plaine féconde du Banat, ancienne terre hongroise que les traités d’après-guerre ont donné à la Yougoslavie pour défendre Belgrade. Nous longeons le Danube jusqu’à Smédérévo. Cette ville n’est rien. Avec ses rues trop larges et ses maisons basses, elle nous rappelle Cettigné. Du fleuve, pourtant, elle figure Aiguesmortes, ses remparts et ses tours. C’est qu’une vieille citadelle turque longe la rive, haute muraille interrompue vingt fois par des tours carrées. L’intérieur n’est qu’un immense terrain vague couvert de hautes herbes, où de pauvres bougres de soldats promènent leur ennui militaire. Ils nous regardent traverser leur domaine, ils se demandent certainement ce que peuvent faire là cet homme et cette femme qui n’y sont pas contraints par dix-huit mois de service. Le costume refleurit dans cette région du Danube. Paysans et paysannes portent le jaléki, une charmante veste sans manches, en peau d’agneau, le poil en dedans, blanche ou brune, et décorée autour des poches et dans le dos d’arabesques en peau verte, jaune et rouge. C’est très magyar et fort élégant. Marie-Jeanne