284 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE que chose, un voile, une ceinture, un bijou, un dessin de broderie. Il y a trente ans, à Raguse, à Cettigné, toute la population portait encore les beaux costumes de la ville. Plus personne ne les porte aujourd’hui, si ce n’est quatre portefaix et un guide à Raguse, quelques vieux messieurs à Cettigné. Il en sera de même, hélas ! dans trente ans, en Bosnie et dans la Serbie du Sud. Lorsque je regarde les photographies de Guillaume Capus, qui visita la Bosnie et l’Hertzégovine en 1894, et même celles de Jandin, qui parcourut la Dalmatie en 1909, je constate l’appauvrissement des costumes de Sarajevo et de Mos-tar, leur disparition sur la côte dalmate. Nous avons pu observer cette décadence au cours de notre voyage. Ce sont les hommes qui commencent. Ils adoptent peu à peu le pantalon, la chemise et le gilet de confection. Ils abandonnent ensuite la coiffure ou la réduisent au fez ou au calot. Des questions religieuses, des raisons d’économie, les retiennent encore sur la pente de l’uniformité. Mais le développement des idées occidentales les réduira bientôt à la banalité universelle. Dans un demi-siècle, comme il en est déjà de l'architecture, les mêmes formes du vêtement s’imposeront aux continents et aux îles du monde entier. Les femmes d’ici gardent plus fidèlement les formes traditionnelles, sans doute parce que leurs sentiments religieux sont plus vifs et qu’elles ont moins d’indépendance morale. Il faudrait un immense effort, dans un village de la Macédoine, pour rejeter la tunique brodée, les voiles et les ceintures, et revêtir une robe moderne. Celle qui ferait cela serait chassée par son mari et par tout le varoch ensuite. De plus, ce que la femme fait elle-même ne lui coûte rien, et ses méthodes de travail, filage, tissage, couture et broderies, sont devenues presque instinctives.