36 l’itinéraire de yoügoslavie lowski — beaucoup plus court du côté des pieds que du côté de la tête. Sur des lames d’acier entre-croisées, quelquefois sur un sommier métallique, s’étale une paillasse de maïs épaisse de trois doigts. C’est dur et craquant, cela fait sous les reins meurtris un bruit de feuilles mortes. Qu’on ne cherche pas le matelas, encore moins le traversin ou l’oreiller de plume. Un ou deux coussins de laine bien tassée en tiennent lieu. Le drap de dessus, à la manière de l’Europe centrale, est un prodige d’ingéniosité. Court et étroit, ses bords festonnés ne sont pas engagés sous la paillasse mais ramenés sur la couverture où ils s’attachent par des boutonnières à des boutons d’os ou de nacre. Comme on le pense, cet assemblage qui n’est maintenu d’aucun côté suit les mouvements du sommeil : on se réveille les jambes et le ventre à l’air, un gros paquet d’étoffe sur la poitrine. C’est alors qu’on se met à la recherche de ses pieds et qu’on les découvre bien au delà des barreaux du lit, suspendus dans le vide. Cela m’a toujours paru singulier dans une région où les hommes sont presque tous de ma taille, souvent même au-dessus. J’en ai conclu qu’ils devaient dormir en chien de fusil ou lovés comme des boas. J’imagine enfin que les Yougoslaves font l’amour par terre, assis sur une chaise ou debout, car je n’ai pas trouvé dans tout le pays un seul lit pour deux personnes. Nous nous endormons aux deux bouts d’une chambre immense, comme Héro et Léandre séparés par l’Hel-lespont. Le matin nous retrouve sur la route, par un clair soleil, dans un paysage d’Auvergne, grands vallonnements, verdure sombre et mouillée. La forêt s’empare bientôt de la terre, une forêt dense, primitive, si touffue qu’elle enferme l’étroit chemin boueux dans un tunnel où règne une obscurité sous-marine. Elle recèle dans ses frondaisons millénaires les lacs