154 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE plissent des cadres dorés accrochés un peu partout à la muraille. Saad-en-Dinn vient d’entrer avec les officiants. II s’assied à la turque, au bas du mihrab, sur une peau de chèvre qui déborde autour de sa robe. A ses côtés, sous les bannières de soie, quatre vieillards en robe noire et turban sont assis comme lui. Le plus proche, à droite, est un ancien colonel de l’armée turque d’avant 1912, lorsque la ville de Skoplié s’appelait Ouskoub. Ils sont tous les cinq figés dans leur méditation, le torse droit, les mains perdues dans les larges manches. En face d’eux, les novices et les postulants sont accroupis sur leurs talons, au milieu d’une peau de mouton ou de chèvre. Ils sont une vingtaine : deux vieillards, cinq ou six hommes mûrs, des jeunes gens et des garçonnets, tous vêtus de robes noires bordées, au bas, d’une large bande de couleur, et coiffés d’un haut bonnet de feutre jaune bordé de noir. Au milieu d’eux, perpendiculairement à l’une des bannières, cinq derviches sont assis sur des peaux de mouton : ils sont vêtus comme les autres, sauf l’un d’entre eux, une espèce de kalmouk à grosse moustache, qui porte sur la tête un énorme bonnet pointu, en agneau blanc. Sans qu’aucun signal ait été donné, un murmure s’élève des trois groupes. En même temps, avec un parfait ensemble, les torses aux mains collées sur la poitrine s’inclinent de biais, à droite, à gauche, à droite, à gauche. Ce n’est d’abord qu’un léger mouvement à peine perceptible, comme l’est aussi le murmure des voix. Peu à peu, l’un et l’autre s’accentuent, les têtes se penchent plus profondément, les voix prennent de l’ampleur. Je commence à distinguer la formule, toujours la même, sur un rythme, toujours le même : deux croches, deux noires, dont la seconde pointée, et trois croches. Je la saisis phonétiquement, dépouillée de sa forme écrite et de sa