266 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE à autre, au lieu du clocher d’ardoises, un minaret blanc comme un cierge. Tout ce pays évoque les gorges du Tarn. Ce n’est qu’après Glogotchnitza que le défilé retrouve la sauvagerie balkanique, cette violence rocheuse et cette solitude écrasante qu’on ne trouve que dans ces régions. Il faut suivre dans les deux sens ce canon de la Né-retva, car la disposition de la lumière en transforme les aspects. C’est d’une tristesse grandiose à certaines heures de la journée; mais au matin, quand des vapeurs s’accrochent aux arbres des falaises, cela devient presque transparent. Le bruit de l’eau remplit cette crevasse gigantesque, celui du torrent et celui des cascades volumineuses qui sortent d’un seul coup de la roche, rivières souterraines qui trouvent enfin leur issue et précipitent leur chute glacée avec un joyeux fracas. Au débouché des gorges, les montagnes reculent vers l’horizon, d’un large mouvement, et le Biélépolié, la grande plaine blanche de Mostar, s’étale devant nous. C’est maintenant la vraie Hertzégovine, son terrain poreux, sa pauvreté. La pierre absorbe les rares pluies que la Bosnie verte n’a pas épuisées. Une poussière impalpable flotte sous un soleil brutal et fait de ce pays un ossuaire. * ❖ # Mostar ne se présente pas comme les autres villes turques du pays. Ce qui reste du vieux bourg ottoman occupe le centre de la ville moderne. Peu de chose, en vérité : quelques ruelles autour du pont qui a donné son nom à la cité — Most-stari : Pont-vieux —, une tchar-chiya délabrée, envahie par les boutiques européennes. La ville, cependant, est restée très musulmane. Elle a beaucoup de mosquées, et des plus intéressantes du pays, par leurs verdures, leurs fontaines encagées