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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
pavé, grimpent le long des façades, comme des serpents noirs, et vont couvrir de tentes végétales les lourds balcons vénitiens. Je ne sais trop si je n’y suis pas attiré aussi par les petites vinaras qui ouvrent sur la rue leurs caves voûtées où l’on débite, avec du jambon fumé de Serbie, les admirables vins dalmates.
 J’aime aussi m’asseoir au pied du mât de Roland, dans l’encoignure que forme le piédestal, entre l’église de Sveti Vlaho et le palais ouvragé de l’ancienne Douane. C’est le centre animé de la ville. La porte Ploca y déverse continuellement son flot de piétons. Malheureusement, le riche costume ragusain, qui remplissait encore les rues il y a vingt ans, a presque disparu. On ne le voit plus que sur un ou deux guides et sur quatre ou cinq portefaix toujours accroupis sur les marches de l’église. Encore est-il réduit à ses éléments de formes et de couleurs.
  En revanche, on y voit beaucoup de femmes qui portent la robe de toile blanche de Konavli : des paysannes venues au marché ou des servantes des Ragusains. Elles sont grandes, très belles, et ont gardé leur longue chevelure blonde qu’elles ramènent en tresses au-dessus du front. Sur cette couronne naturelle, elles posent la minuscule kapa dalmate qui est ici rouge et bordée de bleu pâle ou de blanc.
  Le corsage porte à la jointure du décolleté deux ou trois gros pompons de laine orangée. On met, par-dessus, un petit boléro de laine noire soutaché de violet. Une large ceinture noire, d’une étoffe raide et bien tendue, amincit la taille et rend ces grandes filles encore plus sveltes. La jupe, qui descend jusqu’aux chevilles, montre par son drapé qu’elle est un rudiment du pantalon turc. Presque toutes ces filles ont abandonné les opanké et portent sur des bas blancs des souliers noirs à talon plat.