186 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE les petites tables, on les offre et on les accepte de grand cœur. Il y a ainsi de longs silences où l’on n’entend plus que le bruit des mâchoires. Quand ils sont bien nourris, les visiteurs s’en vont avec des compliments. Sans doute vont-ils continuer, de slava en slava, leur tournée alimentaire. A une heure, on se met à table, avec les gens qui se trouvent là. Le cierge du gito est allumé, et l’on attend le pope pour la bénédiction du kolatch. Ce n’est pas un pope comme on se les représente en France. Celui qui vient consacrer notre slava est un monsieur à barbiche grise, l’air d’un pharmacien de province ou d’un député radical. II porte une jaquette, un gilet à chaîne de montre, un faux col cassé, une cravate de satin noir et des pince-nez. Rien de moins ecclésiastique. Nous nous sommes tous mis debout et un silence solennel s’établit autour de la table. Le frère aîné d’Angé-lina a pris le pain rituel et le tient sur ses mains étendues. Je vois le pope tirer de sa poche un petit paquet de soie et dérouler une étole qu’il se passe autour du cou. Les deux bouts de l’étole étalés sur les mains, il reçoit le kolatch, et penché sur lui récite une prière. Tout le temps qu’elle dure, le frère aîné fait tourner lentement sur les mains du prêtre le pain de la slava. C’est en quelque sorte la terre et sa fertilité qui s’of-frent à la bénédiction immobile du soleil. Quand celle du pope est donnée, tout le monde s’assied. On présente à l’officiant le gito, le gâteau de blé cuit, dont il doit être le premier à prendre une cuillerée. On le passe ensuite à la ronde, un petit salut à son voisin. Chacun le goûte avec une ferveur véritable. J’y mets plutôt de la curiosité. Ce n’est pas mauvais, cela ressemble à du pudding. C’est une chose qui peut se manger quand on a l’appétit aiguisé par le caviar et les anchois. Je m’intéresse beaucoup plus à la signification