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l/lTINÉHAIRE DE YOUGOSLAVIE
dans les journaux. Mon père fréquentait beaucoup les journalistes. J’ai bien connu Monsieur de Villemessant qui était directeur du Figaro. Est-ce qu’il l’est encore?
  Et sans attendre ma réponse :
  —	Il venait souvent nous saluer dans notre loge, car nous allions presque tous les soirs au théâtre. C’était plein de lumières. Cela sentait bon. Toutes les femmes avaient des bouquets devant elles... Il faudra que j’y retourne, toute vieille que je suis. Je me cacherai au fond d’une baignoire, et je regarderai et j’écouterai tant que je pourrai! C’est si joli le théâtre, monsieur, j’aime tant la musique de Paris!
  Elle renverse la tête, elle chante d’une voix délicieuse, tremblotante :
                Va, petit mousse,
                  Où le vent te pousse...
 Nous ne sommes plus à Souchak, dans un château ruiné par la dernière querelle des races, nous sommes hors de la distance et du temps, dans un Paris qu’elle ne reverra plus, même si les médecins de Londres lui rendent ses yeux. Je suis bien sûr, d’ailleurs, qu’on ne les lui rendra jamais, et peut-être que cela vaut mieux, car elle ne retrouverait plus rien de son rêve intact et ne comprendrait pas la beauté nouvelle de Paris.
  Elle se lève, elle nous accompagne jusqu’à la grille, suivie de son chien noir. Elle va d’un pas tranquille, appuyée sur sa canne, sans tâtonner devant elle, bavardant et riant, comme jadis, sur le boulevard, devant le café Anglais. Près de l’entrée elle se rappelle qu’on m’a présenté comme écrivain.
  —	Je n’ai jamais rien lu de vous, monsieur, et je m’en excuse. Je lisais beaucoup lorsque j’y voyais, et je me fais lire de temps en temps, lorsque je puis me procurer un livre. Mais, ici, c’est bien difficile...