176 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE des doigts sans plier les genoux, exactement comme dans les exercices d’assouplissement. Il se met ensuite à genoux près du divan et baise l’une après l’autre des icônes et une croix que je n’avais pas vues et qui sont posées sur le tapis. Je l’ai échappé belle. J’allais tout bonnement m’asseoir sur le tombeau de Svéti Naoum, le fondateur du monastère et de l’église. C’est lui qui sommeille sous cet humble tapis. Je vois maintenant tout ce que la dévotion est venue déposer sur sa tombe : des bouteilles d’huile, des images, des pechkirs brodés. A des tiges de fer pendent une vingtaine de lampes en verre argenté. D’autres dévots pénètrent dans la pièce et font les mêmes gestes rituels que le premier, pendant que celui-ci, toujours sur les genoux, se prosterne trois fois en touchant du front le carrelage. Il pose enfin la tête sur le tapis du tombeau et reste ainsi pendant deux ou trois minutes, dans une extase immobile. Dès qu’il s’est retiré, à reculons et les mains jointes, un autre le remplace et fait les mêmes salâms, car tout ceci ressemble à s’y méprendre aux prosternations des musulmans dans la mosquée. Exemple curieux de cette interpénétration des religions dont j’ai parlé au chapitre troisième. Je suis resté pendant une heure près du tombeau de Svéti Naoum, et pas un instant les pèlerins n’ont cessé de défiler. Si l’on songe que le monastère est isolé du monde par le lac et la montagne, et n’a d’autre accès que la route, on peut mesurer la force de cette dévotion qui, les jours de pèlerinage, draine des foules de trente mille personnes. En quittant l’église, j’entends sortir d’une cabane de pierre accotée au narlhex un bavardage confus, accompagné de rires et de cris. La petite porte envahie par les branches d’un vieux figuier retentit sous les coups de pied qu’on donne à l’intérieur. Je frappe à mon tour, et