L’ATTENTAT DE SARAJEVO 257 C’était des hommes très jeunes, presque tous mineurs, ce qui les sauva de la pendaison. Ils sont déjà minés par la tuberculose ou par de sombres maladies héréditaires. Leur existence leur semble d’un prix dérisoire. Ils n’ont qu’une pensée : en faire le sacrifice à une cause sublime, la libération des Slaves du Sud. Sarajevo n’était pas leur première tentative. Mehmed-bachitch m’a raconté qu’en janvier 1914, lui et ses amis s’étaient rendus à Toulouse pour y tuer François-Ferdi-nand qui voyageait en France où il était venu négocier un emprunt. Ils avaient choisi la France — je sténographie — « parce que la justice y est plus juste que dans les autres pays ». Ils comptaient, en vérité, sur l’indulgence des jurés français quand il s’agit d’un crime politique. Mais ils ne réussirent pas à rencontrer l’archiduc, et ils revinrent en Bosnie et en Serbie fin janvier. En ce qui concerne le complot de Sarajevo ils se montrèrent très prudents. Rien ne transpira du terrible projet. Chacun avait son rôle bien marqué, sa place désignée. Les bombes, les revolvers, fournis par Tan-kossitch, le comitadji serbe, se trouvaient chez Ilitch : six bombes, quatre revolvers, plus qu’il ne fallait pour régler son compte à l’oppresseur de la Bosnie. La veille de l’attentat, le soir du samedi 27, les conjurés se réunissent pour la dernière fois chez Ilitch. On nous les a décrits buvant, cette nuit-là, du vin rouge, comme s’ils s’abreuvaient du sang de leur victime. En vérité, s’ils buvaient du vin rouge c’était parce qu’ils le trouvaient meilleur que le blanc. Le dramatique de cette veillée d’armes n’est pas dans la couleur du vin. Il est dans l’âpre résolution de ces hommes à mourir demain, car ils ont décidé de mourir, une fois l’archiduc tombé. Chacun portera sur lui une dose de cyanure de potassium capable de tuer un bœuf, du moins le croient-ils. Résolution paisible, je m’imagine, comme L’iTINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE 17