278 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE bruyante qu’elle ne doit pas servir à moudre du blé mais à fouler les belles couvertures de laine qu’on vend dans la région. C’est bien le tintamarre des lourds marteaux qui rendaient loquace Don Quichotte, et Sancho Pança malodorant. Comme à Okhrid, comme à Plivitzé, la grandeur de ce paysage est faite de solitude, absence totale d’habitations humaines, virginité des sommets sans cultures. Seul le lac supérieur, dans un étranglement de la vallée, reflète à son extrémité un petit bourg qui a pris son nom, car Yézéro veut dire lac. Il est entièrement musulman, maisons et mosquées bâties de bois, petites kafanas turques qui sentent bon le café bouilli et le bois brûlé, vieux konaks délabrés, restes des demeures d’été des anciens begs réduits à la misère par l’invasion autrichienne. Le varoch, construit dans une île, au confluent de la Pliva et de la Yosovka, est relié à la terre ferme par un pont de bois. Si j’en crois un vieux livre du xvne siècle que j’ai près de moi, la même escadre de canards cancanants que nous avons regardée pendant une heure se laisser aller au fil de l’eau, s’amuse à ce jeu depuis près de trois cents ans. * * îfî La vallée du Verbas nous mène vers Bangna-Louka. Mon partenaire aux échecs, le pope Yacov, nous a dit en faisant ses adieux : — Partez vite, car l’autocar de Bangna-Louka vous croiserait dans le défilé. Nous n’avons pas tardé à comprendre. La rivière est de plus en plus serrée par la falaise. Bientôt ce n’est plus qu’un canon entre deux puissantes masses rocheuses, et la route n’ayant plus de place traverse la montagne par un long tunnel obscur. La voiture peut