DE SARAJEVO A MOSTAR, ET RETOUR 267 comme des oiseaux et une intimité que n’ont pas les autres. La religion y est conservatrice, les hodjas puissants, les femmes plus surveillées qu’ailleurs. C’est la seule ville de Yougoslavie où l’on trouve encore l’ancien féredjé de laine que le dzar a remplacé partout : un vêtement strict, une sorte de longue capote bleu marine qui tombe d’une seule pièce, du sommet du crâne jusqu’aux chevilles. Deux manches vides pendent sur les côtés. Au-dessus du front, une sorte de visière pliée en auvent fait une saillie d’une vingtaine de centimètres. Il ne reste qu’une étroite ouverture pour le visage qui est en outre voilé de noir. L’ensemble fait pingouin, les manches en ailerons, la visière comme le bec. C’est lourd et disgracieux mais hermétique, conforme à l’esprit dévot de cette ville provinciale. Les femmes de condition s’en enveloppent chaque fois qu’elles sortent de chez elles. Marie-Jeanne qui a été reçue dans deux ou trois maisons m’a dit que ce vêtement jaloux cachait de ravissants costumes brodés et même des robes modernes très élégantes. Sauf le curieux attrait de ces silhouettes énigmatiques, Mostar ne serait qu’un Sarajevo très effacé s’il n’y avait la Néretva. Elle creuse à travers la ville, dans ce calcaire poreux dont est faite toute la province, un lit tumultueux, tout en falaises et roches éboulées où s’agrippent de vieux arbres que dépassent les minarets et les toits de pierre des mosquées. Sur le fond grisâtre des montagnes, toujours noyé dans une brume de poussière, cela forme un paysage d’un romantisme inattendu, tout à fait keepsake ottoman. Le vieux pont jette au-dessus de la rivière une seule arche élancée, d’une grâce nerveuse, d’un dessin musclé. Avec son portique très Stamboul et sa maisonnette perchée sur l’arcade, c’est un décor d’ancienne Turquie fait pour l’éternel défilé des musulmanes en dzar ou