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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
Ecris-moi, petite maman, parle-moi de la moisson et de la vigne, parle-moi de l’odeur des coings dans la chambre, parle-moi du kolo que dansent les jeunes gens, mais ne me parle pas d’Elle...
  Un autre cabaret fait sa Boîte à Matelots. Sortilège de Paris en tout ce qui est plaisir. Dans les plus petites bourgades du Far-West ou du Yang-Tsé-Liang il y a des Moulin-Rouge et des Folies-Bergère; à Guayaquil, la Torre de Eiffel; à Osaka, une collection de Café Printemps, Mon Paris, Bar Lilas; à Colon de Panama, Le Chat noir; à Rio, Le petit Pigalle. On dirait vraiment que Paris est une ville où on s’amuse...
  Or cette Boîte à Matelots de Belgrade a la tristesse d’un port sous la pluie. Dans le jardin, la proue d’un vaisseau de pirates voisine avec trois cariatides de l’Erechteion, sans doute enlevées à l’Acropole par des corsaires macédoniens. Grand calme équatorial à l’intérieur, solitude d’un spardeck un jour de grand vent. A l’étage, un garçon habillé en marin se promène avec mélancolie dans les salles vides, comme le watchman pendant une escale.
  —	Allons rire ailleurs ! me dit T...
  Ailleurs, il y a cette grande fille rousse, gainée de noir, visage passionné de lesbienne, qui chante des pesmé de Macédoine et cette délicieuse chanson bulgare : Tcher-vena ta ti verska. Elle fait vibrer sous son pouce son large dakhiré ou le frappe violemment du plat de la main, en rejetant la tête en arrière. Voix androgyne qui s’exerce sur les nerfs, de toute sa perversité. Elle ne m’évoque pas les amours violentes des gens d’ici, mais la longue étreinte de deux corps féminins.