IX RAGUSE Doubrovnik : c’est ainsi que les Yougoslaves appellent Raguse. Ils ont pour cela d’excellentes raisons historiques, ethniques et politiques. Mais pour un Français qui se souvient de Marmont, et pour un poète qui a l’habitude d’établir un rapport entre la vision et la sonorité verbale, c’est dommage. On aurait pu tout aussi bien l’appeler Doubrava, qui a de la grâce et du velouté, et qui est aussi slave et plus dalmate que l’autre. Pour moi, je ne consentirai jamais à l’appeler autrement que Raguse. Ce nom fait partie de l’amour que je lui porte, comme cet autre, Marie-Jeanne, est inséparable de ma tendresse. Je connais Raguse intimement, j’y ai vécu en toutes saisons, et pas un instant je n’ai perdu le sentiment de son charme. Il est fait de volupté, de paresse, d’intimité, et d’un tas d’autres choses qui s’adressent aux sens autant qu’à l’esprit. Une joie continuelle remplit ses rues comme le soleil adriatique, en sorte qu’il y règne un éternel dimanche. Sur chacune de ses places déferle une lumière symphonique, aussi riche en timbres que la plus libre fantaisie instrumentale. Nulle part ailleurs on ne trouve pareille union des heures du jour avec l’architecture et la couleur de la pierre.