LE DANUBE 227 taient le Danube. Il a fallu établir au milieu du fleuve un chenal où les eaux descendent avec une telle rapidité que certains bateaux doivent se faire haler par une locomotive. Le nôtre, qui a l’habitude, remontera cela à grands efforts d’hélice pour arriver tout juste à un demi-nœud. On peut descendre à Kladovo car le reste du voyage est monotone, et le bateau n’est pas assez confortable pour y passer un jour de plus. Aucune de ces raisons, bien entendu, ne nous empêchera d’aller jusqu’au bout du pays, là où se touchent les frontières yougoslave, roumaine et bulgare. D’ailleurs la famille vorace est descendue à Tékija où l’attend sans doute un hippopotame rôti. Nous avons, comme le chat, fait amitié avec le coq et nous lui faisons cuire à la française les savoureux sterlets que nous achetons par régimes aux escales. Quand je dis que nous lui faisons cuire ces poissons, je veux dire que nous les cuisons nous-mêmes et qu’il nous regarde faire en fumant des cigarettes. Route uniforme. La rive, des deux côtés, est un talus de glaise. Quand le bateau s’approche des pontons, les villages entiers dégringolent sur la pente et se pressent à la descente de la passerelle. C’est un étonnant spectacle que ces cohues de pierrots blancs et de femmes en fichu orange. A Radouyévatz, point terminus de son voyage, le Tsar Nicolas II s’amarre pour quelques heures, et j’en profite pour aller voir les maisons et les gens. Village à la serbe, quadrilatères touffus, palissades de pieux plantés à la diable; séchoirs à maïs en forme de sépulcre, exactement les mêmes que dans la Galice espagnole, mais sans la croix de pierre; carrioles à toit rond fait de feuilles de maïs tressées en nattes, d’un travail nègre très élégant; puits à balancier et contrepoids, comme en Egypte, la margelle faite de gros madriers empilés.