LA DALMAT1E — DU VÉLÉBIT A ZARA 49 route de Bènkovatz. Le soleil commence à décliner sur les îles adriatiques. Le reflet du ciel n’accroche plus rien dans cette lande pierreuse tachée de buissons noirs. Nous cherchons un campement le long du chemin de Biograd-More. La roche, des taillis courts et épineux, pas un abri. Je mène la voiture à travers un terrain bouleversé jusqu’à l’extrémité d’un saillant qui domine l’incomparable paysage marin. Nous nous y installons pour dîner et passer la nuit. Les étoiles s’allument une à une. Le silence a cette qualité limpide qu’on ne trouve que sur les hauts plateaux. Une petite brise nous apporte parfois des bruits de clochettes et des voix humaines. Nous avons fini de dîner. Etendus sur les sièges de la voiture, nous fumons des cigares de Bornéo qui ont des bagues énormes et sentent la peau de Malaise. Des paysans passent sur la route, non loin de nous, en poussant leurs troupeaux devant eux. Les femmes, dans le crépuscule, luisent encore comme des bouquets. Elles nous saluent d’un Lakou notch! — Douce nuit! — et continuent leur route sans se retourner. Les hommes viennent s’asseoir autour de nous et fument religieusement nos cigares. Ils se demandent ce que font au milieu de ce désert, à cette heure, cet homme, cette femme et ce chat décoré de médailles. Us ignorent la France et Paris. Us nous parlent de ce qu’ils savent : les champs, la pêche, le bétail. Une tranquillité puissante vient de leurs paroles aussi bien que de la terre. Quand ils se taisent, on n’entend que le frissonnement de la brise dans les buissons résineux. Les îles sombrent une à une au fond d’une mer laiteuse, sous un clair de lune très pâle... Us sont partis, en nous souhaitant le bonsoir. Lakou notch!... J’entends leur pas qui s’éloigne sur la route... Le silence agrandit encore le cercle de la nuit. Le monde | est dans sa plénitude, rond comme l’infini. l/lTTNKRATRE DE YOUGOSLAVIE 4