LA ROUTE —- LE PAYS 31 sons de bois; ou passer en trois heures de ce petit bourg français qu’est Cettigné, la capitale de la ïsernagora, à une ville comme Prizrèn, entièrement ottomane, ruelles d’Asie, mosquées et konaks. Son humanité se ressent des mêmes influences, slave à peu près partout, mais travaillée par des siècles de guerres et de révoltes. Catholiques, orthodoxes, musulmans, issus d’une même race immigrée là vers la fin de l’empire romain mais divisée par les conquêtes successives, les transportations en masse, les conversions volontaires ou forcées. Serbes intacts de la Serbie et de la Tsernagora; anciens Bogoumiles de Bosnie convertis par lassitude, plus mahométans que Mahomet; catholiques croates et dalmates, semblables par la langue et la foi, très différents d’esprit; musulmans opiniâtres de la Serbie du Sud et de la Macédoine. Il y a encore les juifs de Sarajevo1, de Skoplié, de Bitoli, venus d’Espagne comme ceux d’Istamboul, qui parlent un étrange sabir hispano-slave; et les tziganes — bohémiens, gitanos ou gypsies — noirauds, légers, paresseux, musiciens jusqu’au bout des ongles, dont on ne sait s’ils croient en Dieu, en Allah, au Gospodîn des orthodoxes ou à la sorcière Sarah. Tous ces gens-là parlent la même langue, avec des nuances de dialectes, vivent côte à côte, interpénétrés, dans une entente au moins apparente, parfois réelle. A Sarajevo, le jour de la Fête-Dieu, j’ai vu le maire musulman et le rabbin suivre, derrière le dais de la procession, le Saint-Sacrement des catholiques. Dans la même ville, la maîtrise de l’église catholique comprend des orthodoxes et des musulmans. A Kotor, à la Saint Triphon, un prêtre catholique et un pope orthodoxe célèbrent la messe en même temps, chacun à sa ma- 1. Prononcer Sarayévo.