DE SARAJEVO A ZAGREB 275 der à abandonner son perchoir. L’odeur du poisson le ramène jusqu’à nous. C’est par la peau du cou qu’il est reconduit à la voiture. Il n’aura pas de sardine mais une claque quand je serai débarrassé de mon revolver. Au moment où je referme la portière, un homme surgit du fourré. J’ai bien failli tirer dessus. C’est un musulman gigantesque, brèche-dent, coiffé d’un pechkir roulé. Il n’a pas du tout l’intention de nous attaquer. Il s’excuse au contraire de nous avoir empêchés de passer et se met à déplacer la poutre à grands efforts de muscles. Il m’explique qu’il l’avait mise là pour quelqu’un d’autre, un compte à régler. Comme je n’aime pas beaucoup contrarier les gens, je l’aide à la transporter derrière la voiture où nous la remettons en travers de la route. Il me remercie de mon obligeance. Quand nous démarrons, il nous fait un beau salâm sur le front et sur la poitrine. — Il est très aimable, ce bandit ! fait Marie-Jeanne sur un ton de bonne société. C’est le seul que nous ayons jamais vu dans le pays. Encore avait-il bien l’air d’un amateur. Yaïtzé (Jajce). Que j’aurais aimé l’entrée dans cette vieille ville bosniaque, par son portail de citadelle, s’il n’avait tant plu. Le bruit de l’averse couvrait la voix puissante de la Pliva. Nous avons dû passer un jour entier dans un hôtel grand comme une caserne avant de pouvoir aller flâner dans les rues. Quarante-et-une parties d’échecs avec un pope qui me laisse gagner de temps en temps pour ne pas me décourager. Nous avons d’ailleurs à portée de la main un plein pot de tabac de fraude. Marie-Jeanne, sur un piano chevrotant, nous