82 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE et ont une vieille apothicairerie pleine de ces pots de faïence cylindriques, décorés de latin de cuisine. Le milieu du cloître n’est qu’un massif de bambous, de palmiers et d’orangers. Une seule allée, faite de deux bancs de pierre, en vis-à-vis, où de grosses touffes de marguerites versent leur odeur amère. Au bout de l’allée, une fontaine figure Saint François debout dans une vasque, et qui lance de menus jets d’eau par les blessures des stigmates. Cela me rappelle cette fontaine espagnole, dans la sierra de Gredos, qui représente la Mater Dolorosa, les sept poignards dans la poitrine, et dont les yeux versent deux filets d’eau qui sont les larmes de sa douleur. Il y a quelque chose du même genre au Bom Jésus de Braga, dans le Minhu portugais, mais j’en parlerai dans un autre livre. Nous aimons venir nous asseoir dans ce jardin du cloître franciscain et faire une petite voix miaulante à l'usage des chats. Il en sort aussitôt de chaque plant de marguerites. Ils viennent se frotter contre nous en ronronnant. Sans doute sont-ils tous de la même famille, car ils sont tous roux, avec des yeux d’or. Le Père Spas, qui aime bavarder à l’ombre, nous a raconté leur histoire. Il y a deux ans, la vie, à Raguse, a été dure pour les pauvres gens, si dure qu’ils pouvaient à peine se nourrir, et plus du tout nourrir leurs chats. Mais ils savent encore, dans cette ville catholique, que le petit Pauvre d’Assise parlait aux bêtes et les nourrissait. Ils s’en vinrent donc, tout naturellement, porter leurs chats aux Franciscains. Cela risquait de faire en quelques jours un grand peuple de chats. Ils envahiraient le cloître, les jardins, les cellules, le réfectoire, on en trouverait jusque dans la cuisine et l’église... — Il est bien certain, nous disait le Père Spas, que