SARAJEVO 243 presque toujours cotoyés par un if fraternel, aussi droit et aussi mince. Comme les montagnes sont hautes et toujours vertes, cela crée l’étrange paradoxe d’une ville musulmane dans un décor savoyard. Sarajevo, nous dit Pelletier qui connaît bien sa ville, a quatre-vingt-seize mosquées presque toutes vivantes. Les musulmans forment, en effet, la grosse majorité de la population qui comprend aussi des orthodoxes, des catholiques et des juifs d’origine espagnole (sefarditas), chaque groupe ayant ses églises ou ses synagogues. Il n’est pas rare d’entendre à la fois sonner les cloches et chanter les hodjas ou muezzins. La Tcharchiya peut enchanter le voyageur qui vient du nord ou de la Dalmatie, mais pour celui qui connaît Prizrèn, Skoplié ou Prilep, le bazar de Sarajevo, avec ses enseignes et ses échoppes de pacotille, semble gâté par l’esprit touristique. C’est une impression qui s’efface d’ailleurs quand on séjourne quelque temps dans la ville et qu’on apprend à connaître les ruelles sincères et les cours charpentées où travaillent les artisans. C’est alors une Tcharchiya moins vivante que celle de Prilep, par exemple, mais pleine de types humains bien divertissants. Même cette ruelle d’enseignes et d’ersatz, qui fait « rue du Caire » aux Expositions de mon enfance, est amusante par son va-et-vient multicolore. Que de fois je me suis arrêté devant le Bar Aeroplan ou près de la fontaine qui fait l’angle du Beg, à regarder défiler les musulmanes en dzar de coton, la figure voilée de noir; les paysannes catholiques de la Latchva, engoncées dans leurs vastes pantalons de soie noire, leurs grandes manches de toile et leur gilet brodé; les paysans bosniaques en culotte turque et fermen court, coiffés du fez ou d’un pechkir roulé; et surtout les fillettes blondes de Sarajevo, les plus jolies du monde, tiges de l’arbre