i/lTINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE en féredja, des paysannes orthodoxes en culotte blanche, et des hommes en guenilles. — Car tout ce que tu gagnes, me disait ce brave type assis près de moi sur le parapet, c’est juste assez pour acheter ton tabac. * * * Nous allons jusqu’à Blagaï, aux sources de la Bouna. Cette Hertzégovine, comme la Dalmatie, a un sous-sol mystérieux. De grandes rivières se perdent tout à coup dans un gouffre invisible, d’autres, les mêmes peut-être, naissent de la roche avec toutes leurs eaux. La Bouna s’est creusé un trou au bas d’une énorme falaise en surplomb, elle émerge sans bruit, sans un frisson, une épaisse lame de cristal vert qui se déplace silencieusement. Au-dessus de ce gouffre et sous la puissante vague de roche qui se dresse à plus de cent mètres de hauteur, une petite maison turque, toute blanche, avec des toits incurvés, abrite un gardien, un tombeau et un vautour aux yeux sanguinolents, enfermé dans une cage de bois. Il paraît que c’est un lieu de pèlerinage musulman. Les ruines qui l’entourent sont celles d’une mosquée détruite par un éboulement de la falaise, achevée par l’indifférence. Le gardien nous raconte que « le saint » — il n’en dit pas plus — se réveille chaque nuit pour faire ses ablutions : aussi dépose-t-il, le soir, une aiguière d’eau, un bassin et un pechkir au pied du tombeau. Je n’ai pu voir ce tourbé qui est enfermé dans une crypte. Tout est mystère dans cet étrange décor : cette rivière qui sort toute faite du monde souterrain, cet oiseau captif qui nous regarde avec des yeux de charogne, cette sépulture cachée. Le sentier qui nous ramène à Blagaï est calciné par le soleil. Nos pieds soulèvent une poussière de plâtre. Nous