LA ROUTE — LE PAYS 29 de caisses, de sacs, de paniers, de fagots, vacillant sous un réseau de cordelettes velues. Quelques gens à cheval, des femmes, le plus souvent, tenant un enfant contre leur poitrine, l’homme marchant à côté de la monture. Chars à bœufs, taillés à l’herminette par le paysan lui-même, qui fait aussi sa charrue, sa herse et tous les instruments de son métier; chariots découverts, les mêmes du nord au sud du pays, de la Slovénie à Bitoli, longs, étroits, bas sur roues, entourés de ridelles semblables à des râteliers d’étable, tirés par des petits chevaux rétifs, ombrageux; et les troupeaux, moutons, chèvres, bœufs ou buffles, lancés au pas rapide de la foule, sur toute la largeur de la route, au milieu des cris et des coups de trique, dans un grand brouillard de poussière; tout cela s’est mis en marche au milieu de la nuit, au fond des vallées, dans la montagne, dans la plaine, converge vers la ville où le marché ne s’ouvre qu’à neuf ou dix heures. Seulement, ce n’est pas la foule grise et uniforme de chez nous. C’est une bigarrure de costumes dont rien ne peut donner une idée. Ils changent de ville en ville, de village en village, et dans certaines villes chacune des quatre religions, orthodoxe, musulmane, catholique et juive, a les siens. Il me faudrait des pages entières rien que pour énumérer cet énorme panachement d’étoffes et de broderies qui recouvre le pays tout entier. Dans ma mémoire il forme un éblouissant parterre de soie, de laine, de toile, de dentelle, de paillettes, de métaux, de lourde bijouterie. Et tout cela n’est pas costumes de fête ou de cérémonie : cela va sur les routes, se presse vers les marchés. Dans la plaine de Skoplié, les femmes qui vont travailler aux champs, avec leur jupe et leur tunique pesantes de broderies, leur coiffe de toile d’un dessin compliqué, leurs nattes de faux cheveux tressés de rubans, ces femmes qui vont couper le blé à