54 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE A la fin du second repas, nous connaissons tout le monde. Les tables voisines sont envahies. On apporte de grandes carafes de ce vin de Tartar qui mûrit dans la pierraille, au-dessus de Skradîn. Un grand gaillard blond, moustachu, très droit, la tête renversée contre le départ de la voûte, les mains à plat sur les genoux, chante d’une voix jeune de ténor, pendant que les autres, la face penchée sur la table, l’accompagnent de longs accords vocaux. Ce sont de petits poèmes courts, de deux à quatre vers, comme dans la copia andalouse. Ils n’expriment que des sentiments très simples, presque naïfs, en images d’une fraîcheur adolescente : La montagne était morte. Mais la pluie est tombée, L’herbe pousse, La montagne redeviendra verte. Ou celle-ci, chantée sur une cadence allègre : La jeune fille chante : La feuille s’unit à l’arbre, Et personne ne le saura... Et cette autre qui fait comme un envol de jupes au milieu des basses chorales : Angèlina, tu n’es pas un verre d’eau pour boire, Tu n’es pas une pomme pour mordre, Tu es une jeune fille, Et c’est pour cela que je veux t’embrasser. Ce ne sont autour de nous que des ouvriers, des pêcheurs, des petits employés, et toutes leurs chansons ont