PETCH ET DETCHANI 123 des centaines et des centaines d’hectares. C’est une sorte de principauté religieuse, analogue à nos grands couvents de l’ancien régime. Ils ont une hospitalité royale. Les jours de pèlerinage, le monastère nourrit à ses frais plus de quinze mille personnes. On y arrive par un sous-bois d’antiques châtaigniers. C’est au milieu d’une vallée très verte, dans les contre-forts du mont Plech que l’on voit au fond. Toujours cet aspect de ferme. L’entrée est celle d’une grosse métairie bourguignonne, la cour une prairie, l’église au milieu, tout le tour formé par des bâtiments à galerie de charpente, le bois doré du châtaignier. Un groupe de messieurs coiffés du fez vient à notre rencontre et baise les mains de l’higoumène. Il me dira plus tard que ce sont des musulmans albanais, descendants des grandes familles qui ont protégé le monastère depuis Kossovo. Nous montons tous au salon des visiteurs, très franciscain, mobilier Louis-Philippe. Des petits serviteurs apportent le café, le slatko, la schlivovitza (eau-de-vie de prunes). On boit sec dans ces couvents, comme dans tout le pays d’ailleurs. Le soir, nous dînons tous deux, seuls hôtes ce jour-là, au petit réfectoire, avec le Père Déonitié et un moine noir, à barbiche et cheveux longs, qui ressemble à mon cher André Suarès. Dîner de truites pêchées dans le torrent qui ronfle au bas du monastère, un monceau de truites, dans un plat énorme, des truites d’un pied de long, à la chair saumonée. L’higoumène en fait porter une entière au Puma qui se battra toute la soirée avec ce poisson de Cocagne. Nous restons longtemps à table, en compagnie d’un vin blanc fruité qui ressemble au Mont-Louis et de nombreuses carafes de schlivovitza. Puis, les deux moines nous accompagnent jusqu’aux portes de nos chambres, car jamais un homme et une femme, « pas même le roi