254 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE ment bosniaque que l’Autriche supporte comme elle peut, forment un petit groupe autour de leur président. François-Ferdinand fonce sur ces gens-là. Il sait qu’ils sympathisent avec la Serbie. Or la Serbie c’est la guerre de demain. Cela viendra tôt ou tard, même si personne n’est abattu à coups de revolver. Il leur fait ce discours qui devrait être célèbre car il prévoit le démembrement de l’empire autrichien. « Surtout, messieurs, ne regardez pas du côté de la Serbie! » C’est en regardant de ce côté-là que les Slaves du Sud ont créé la Yougoslavie. Je suis accoudé à la terrasse de la chambre qu’occupait l’archiduc. Devant moi les pelouses ratissées, les grands arbres du parc, un parterre de fleurs. La chambre est derrière moi, sa porte vitrée ouverte sur son mobilier provincial. Il me semble qu’elle est éclairée comme ce soir de 1914. Je m’imagine cet homme remontant chez lui après le banquet. C’était un rude gaillard, courtaud, avec une grosse figure, de gros yeux bleus et une grosse moustache. Il était militaire de pied en cap. Je ne pense pas que ce soir-là il ait eu peur. Il savait à peu près que le lendemain Sarajevo le recevrait avec des bombes et des coups de revolver, mais il comptait sur sa chance et sur la Providence. Après tout, être tué cela fait partie du métier de roi. Il n’a rien fait pour éviter les coups. ❖ * * On raconte à Sarajevo que les conjurés se réunissaient à la vinara Semiz. Un vrai décor à la Dostoïew-ski, ce cabaret. A proprement parler, ce n’est pas un cabaret, ce qu’on appelle ici kafana, mais une vinara, c’est-à-dire un débit de vin, rien que de vin, avec un cellier où s’alignent des tonneaux et des bonbonnes. Il ouvre sur la Koundourdjilouk Ulitza, la rue des Cor-