L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE d’un vert glauque, et l’on débouche dans le second lac, celui de Téod, qui est le Toulon yougoslave. Casernes, base aérienne, torpilleurs embossés sur les eaux plates, promenades de marins en blanc, six pieds de haut, l’air de géants en croisière. Il y a même une vieille frégate désarmée, avec sa batterie blanche et ses sabords sans canons, et une grande ancre de la vieille marine, debout sur le rivage, deux fois plus haute que moi. La rive devient abrupte, la corniche serpente sous des pins et des yeuses. C’est ensuite un canal si étroit qu’on a pu, jadis, le fermer avec des chaînes. Il y a là quelques officieux qui vous proposent de transporter la voiture sur l’autre rive. Us ont appris cela dans toutes les langues et se chamaillent dans la leur. Il vaut mieux, de toute manière, se passer de leurs services. Leurs bacs sont des plates-formes titubantes, installées sur des chaloupes conjuguées. On risque d’aller au fond de l’eau. De plus, cette traversée ferait perdre la plus belle partie des Bouches, ce que j’appellerai le troisième lac. Ici la montagne s’élève à des hauteurs considérables, pesant de tout son poids sur une nappe d’eau immobile qui prend des tons d’ardoise et de cipolin. De grandes nuées fumeuses courent sur les sommets d’en face, la chaîne énorme de la Tsernagora (Monténégro). Elle enveloppe dans un décor tumultueux deux petites îles basses et allongées, d’un calme de navire sommeillant sur une rade. Chacune est entièrement couverte par un monastère et son église, en sorte que les bâtiments trempent dans l’eau et s’y reflètent tout entiers, la tête en bas. L’une a des toits rouges et un clocher pointu, au milieu d’un cercle de cyprès; l’autre est toute blanche, sans végétation, avec une coupole bleue ou verte, selon les heures. La côte est sèche et pierreuse, d’un gris de schiste