LA DALMATIE — DU VÉLÉBIT A ZARA 47 Irovitch de Trieste, et son fils s’appellera sans doute Ruggieri. * * * C’est une chose bien émouvante que la rotonde byzantine de San Donato. Elle est semblable à San Vitale de Ravenne, moins les précieuses mosaïques de Justinien et de Théodora. Dans le fond, deux hautes colonnes de cipo-lin supportent des pleins cintres étroits et créent trois absides fraîches et profondes. Mais ce qui m’émeut ici ce n’est pas l’œuvre d’art, car Ravenne et ses basiliques m’ont laissé de trop grands souvenirs, c’est l’impudeur iconoclaste des constructeurs, cet esprit de refonte vigoureuse que j’ai célébré dans un de mes livres1. Les hommes qui ont bâti cette rotonde n’ont pas tiré les pierres de la montagne. Ils ont fait une carrière des temples romains de l’ancienne Iadera qui occupait l’emplacement de Zara, et ils ont édifié avec ces ruines du paganisme l’église de leur foi. L’assise des murailles, celle des colonnes et des pilastres, les murailles elles-mêmes, sont faites de fragments antiques tout sculptés, de frises, d’architraves, de chapiteaux, de stèles gravées, entassés les uns sur les autres avec un impitoyable mépris de ce culte archéologique qui nous a fait créer les musées. A la base des murs, les maçons chrétiens ont aligné des tambours de colonnes antiques renversés sur leurs cannelures, et cela d’une manière si brutale, si évidente, qu’on est obligé d’invoquer le symbole des divinités païennes écrasées par le christianisme. Ailleurs, comme dans certaines églises de Rome, d’Espagne ou de Provence, les motifs d’architecture des temples anciens ont formé des décorations nouvelles, chapiteaux, corniches, fûts de colonnes. Les bâtisseurs 1. Le dieu qui danse. Chapitre I.