86 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE deux cierges, il s’est posé un crucifix sur la poitrine et s’est tiré un coup de pistolet dans la tête. Mort romantique mais d’une haute dignité humaine. Ce dernier Gundulitch a, comme son ancêtre, créé son poème. Il a prouvé qu’il n’est pas obligatoire de mourir comme un condamné, parce qu’on ne peut pas faire autrement, ni comme un fonctionnaire, parce que l’heure est venue de quitter soti emploi. Il a choisi son heure, et il est mort comme il lui a plu. Trois portes donnent accès au vieux port, l’ancien port Casson, toujours encombré de tartanes aux voiles latines pareilles à un rassemblement d’étendards. Il est presque fermé par de hautes murailles nues et par l’énorme bastion du Muo. Rien n’est plus vieille marine que ce décor de remparts et de voiliers. Sous le bastion se dressent encore des bornes d’amarrage usées par les câbles des galères. Entre Ce port et la Lutza se trouve le plus beau café d’Europe, le Gradska Kafana, installé dans l’ancien arsenal ragusain. C’est une suite de voûtes blanches, d’un émail velouté, Unies, sans ornements. Dans le fond, trois immenses arcades se déploient sur le port, un premier plan de voiles et de mâtures devant les vieilles bâtisses du faubourg et l’échappée majestueuse de la côte orientale. Le jour, ces arcades sont remplies de figurations maritimes, le soir, de fanaux et d’étoiles. C’est ici le rendez-vous nocturne de ce public cosmopolite dont j’ai parlé tout à l’heure. On y achève la paresse de la journée, car il faut être fou ou besogneux pour travailler à Raguse. S... a toujours son petit cigare pendu à la lèvre, Mme Y... est de plus en plus nue. Les romances tziganes frémissent sur les tympanons. On