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L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE
qui tombent tout droits dans une mer d’ardoise. Un orage noir et argent se précipite à notre rencontre. Il crève sur nous pendant que nous traversons des forêts de pins et d’oliviers, car ces derniers sont si vieux, si grands et si pressés qu’ils forment, comme les pins, des forêts profondes.
  Makarska est un petit port dans une conque presque fermée, comme celle de Pasajes. Les pins entourent cette crique d’une margelle d’un vert violent. La ville a de jolies maisons vénitiennes, et même, comme en Flandre, une maison à pignon chantourné.
  De la mer, ce n’est qu’une mince ligne blanche, écrasée par une montagne qui remplit le ciel comme un autre orage: le Biokovo, qu’il nous faudra gravir demain par une route dont on ne distingue rien dans cette verticalité.
  Nous campons au bord de l’eau. La mer clapote doucement près des roues de la voiture. Pas un souffle de vent sous les pins qui nous enferment comme une alcôve.
  C’est par un chemin taillé dans une paroi de roche qu’on atteint le sommet du Biokovo. Neuf cents mètres d’altitude, moins de trois cents à vol d’oiseau, entre le col et la mer. Un paysage que rien ne saurait décrire et qui n’a d’analogie nulle part, une houle presque verticale, blanche et grise, tombant dans cette mer dalmate que peuple un archipel innombrable.
  Sur l’autre pente, vers l’Hertzégovine, c’est une tempête pétrifiée, un chaos de roches déchiquetées comme la crête des vagues. On descend vers la grande route construite par les soldats de Napoléon, et dont chaque section a porté le nom d’un régiment français. Elle glisse sur le flanc de la montagne, au-dessus de la plaine de Liouboutcliky où des étangs font des plaques luisantes de métal. Ce n’est bientôt qu’une jetée à travers les ma-