DE DETCHANI A SKOPLIÉ 127 — J’en veux un ! s’écrie Marie-Jeanne. Elle achète le plus grand et le met à son cou. Il lui descend jusqu’à la taille. Tous ceux qui sont là, le marchand, son frère ou son cousin, cinq ou six amis qui selon l’usage prennent le café dans la boutique, s’esclaffent en se tapant sur les cuisses. Ils s’excusent avec des salâms mais ne peuvent s’empêcher de se tordre. Quand ils ont bien fini de rire, nous apprenons qu’on met ces colliers au cou des chevaux et des mules. De fait, nous croiserons sur la route plusieurs cavaliers dont les montures ont de ces colliers de perles bleues. Il est certain qu’ils n’en donneraient pas à leur femme. Pour cette race guerrière le cheval passe devant. Quelque part, dans cette grande plaine ondulée, piquée de minarets et de peupliers tout droits, nous voyons venir à travers champs un étrange cortège. Un pope marche en tête, une chape dorée traînant sur ses talons. Près de lui, un jeune garçon porte sur l’épaule, comme un fusil, une croix de planches ornée de longues bandes de papier multicolore. Vient ensuite un cercueil de sapin, porté par quatre paysans costauds. Ils trimbalent ça comme une caisse vide. Ça tangue et ça roule selon les trous et les bosses du terrain. Derrière, à la débandade, une vingtaine de personnes, hommes et femmes, presque tous vêtus de toile blanche. Tout le cortège avance à pas pressés, comme s’ils avaient hâte d'en avoir fini. Où Vont-ils? d’où viennent-ils ? Il n’y a ni village ni cimetière en vue. Ils ne suivent pas de chemin, ils marchent à travers les labours desséchés. Ils viennent vers la route où nous nous sommes arrêtés pour les regarder passer. Ils la traversent et grimpent un talus, de l’autre côté, le mort la tête en bas, hissé sans effort par les porteurs. En haut, tout le groupe s’arrête, et un homme s’en détache, qui redescend vers nous. Sa kapa à la main, il