TETOVO ET GOSTIVAR 161 Mehmed Sadik, notre guide musulman, nous fait visiter ensuite sa maison, ou plutôt son konak, le type même de ces demeures charmantes qui ornent la campagne d’Istamboul. Du dehors ce n’est qu’un grand mur que dépassent des cimes d’arbres. Une seule porte, une petite porte à gros anneau de fer que Mehmed Sadik fait retomber trois ou quatre fois. Il nous fait entrer ensuite dans un jardin de mûriers, un seul tapis d’herbe fraîche et bien rasée que traverse en biais un étroit chemin de pierres plates. La maison est au bout de cette allée : elle est pareille à celle que j’ai décrite à Petch, bleue aussi, mais d’un bleu pervenche plus soutenu. Elle est vide. Les femmes se sont terrées quelque part, je ne sais où, car nous parcourons à loisir toutes les pièces. Même chose dans le beau konak de Haki-Pacha. La veuve habite la maison, mais nous ne la verrons nulle part. On entre, on se promène de salon en salon, et on /ne rencontre jamais personne, ni habitant ni serviteur. La façade est sourcilleuse, mais l’intérieur est d’un vieux style désuet, toujours ce Louis XV interprété par l’Islam, médaillons et trumeaux, vastes cheminées qui ressemblent à des trônes sommés de couronnes royales, plafonds d’ébénisterie, les mêmes que dans les églises de Grenade. L’un des salons a un mobilier, fauteuils, chaises et canapés, d’un rococo extravagant, tendu de satin bouton d’or. Il m’évoque des présences surannées : diplomates français en pantalon de nankin, dames turques corsetées, amiraux à favoris. Je voudrais bien passer tout un été de fainéantise dans cette grande maison fraîche, à manger des sorbets, jouer aux échecs et fumer de petites pipes au tuyau interminable. Nous allons enfin, à travers des vergers et des champs, jusqu’au monastère des derviches de Kbrara- L’iTINÎRAIRB DB YOUGOSLAVIE 11