128 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE s’incline devant la portière et nous invite poliment à suivre le cercueil avec lui : — Kotchété li mé dopratiti? Sans doute est-ce l’usage du pays. Nous ne savons comment refuser. Au fond, je me demande encore pourquoi nous n’avons pas accepté. Nous avons suivi des enterrements moins drôles que celui-là. Cela pouvait nous mener fort loin dans la campagne, mais qu’est-ce que ça pouvait nous faire? On arrive toujours où l’on veut aller, aujourd’hui ou demain, ou un autre jour... Nous nous excusons avec mille formules de politesse : — Vi sté souviché lioubazann. (Vous êtes trop aimable). Il s’éloigne comme à regret. Le cortège reprend sa marche titubante. Les quatre hommes n’ont même pas déposé le cercueil pendant la pause. Ils iront enterrer leur mort quelque part, sous un arbre. Nous connaissons ces cimetières de campagne. Il y en a partout. En pleins champs, on découvre quelques tombes enfouies dans l’herbe. Il n’y a même pas de clôture, aucune limite entre la mort et la vie. Les orthodoxes ont des croix de planches vermoulues. La plupart ont été fauchées par le vent. Les musulmans dressent des pierres brutes, toutes droites, comme des menhirs trapus, inégales, plantées à la diable sur un terrain cahoteux. Quelquefois la forêt est revenue, et l’on trouve des tombes dans les taillis, si moussues qu’elles se confondent avec les autres roches. Près de Sarajevo, nous avons campé sans le savoir au milieu d’un cimetière turc. Je ne m’en suis aperçu que le matin, bien par hasard, en posant mon blaireau sur une roche qui était la pierre d’un tombeau.