DE GOSTTVÂR AU LAC D’OKHRID 169 fonce en coin dans le flanc de la roche. En en taillant un grand quartier on a pu y placer un immense réfectoire où il y a des sièges pour deux cents moines. Le couvent n’en abrite plus que six. Celui qui nous reçoit est de fort méchante humeur. Sans doute l’avons-nous dérangé dans sa paresse séculaire. Il nous fait d’un air bourru les honneurs de sa maison. Je m’amuse à promener sa rogne à travers l’échafaudage de poutres et d’escaliers branlants, sans lui faire grâce de la moindre galerie. Il me lance des regards noirs comme sa barbe, comme la charpente et la forêt. Je pense que jamais un rayon de soleil n’a touché cette âme ni les toits du couvent. L’église est très belle, tout le fond rempli par une iconostase en bois sculpté pareille à celle de Svéti Spas, du même style, l’œuvre sans doute des mêmes artisans, car je retrouve dans un panneau, comme une signature, les trois bonshommes maniant la gouge et le maillet. Elle est plus grande que celle de Svéti Spas et s’étale sans contrainte devant une abside beaucoup plus vaste. Nous admirons, en dépit de l’otatz hargneux, les icônes mélancoliques, les reliquaires d’argent, le trône de l’hi-goumène, longue guérite surchargée de sculptures mais d’une matière suave au toucher. Sous le portique de bois, décoré de fresques toutes neuves, une vieille baba donne à Marie-Jeanne une poignée de graines de pavot. Cela se mange et a un petit goût d’opium, assez littéraire. C’est d’ailleurs tout ce qu’on nous offre pour déjeuner. Nous quittons le moine atrabilaire en appelant sur lui la bénédiction du Gos-podîn. * * ❖ La vue de Débar, en sortant du défilé, ses toits d’un rouge brun et ses minarets tout blancs, sur un fond de