28 L’ITINÉRAIRE DE YOUGOSLAVIE tude de la marche. Ils vont aussi bien derrière une carriole vide, avec des petits enfants sur les épaules. On ne met dans les véhicules que les impotents et les vieillards, je veux dire les très vieux, car les autres sont aussi résistants que les jeunes et plus durs encore vis-à-vis d’eux-mêmes. Ils ont aux pieds une chaussure rudimentaire qui s’appelle opanak, mais c’est presque toujours l’accusatif pluriel qu’on entend : opanké. La forme en varie de province en province. C’est un morceau de cuir de vache, qui fait semelle, se replie sur le pied, le poil en dehors, et se termine en languettes tressées qui servent de cordons. On les porte sur une soquette de laine blanche tricotée de dessins de couleurs crues, celle-ci recouvrant un bas de laine beige à dessins blancs. Elles ont parfois des formes extraordinaires, comme en Serbie, dans la Choumadia, où la pointe se termine par une sorte de poulaine évasée en cornet. C’est du moyen-âge turc, cela me fait penser aux planches gravées par Nicolas Nicolaï. Elles sont plus souvent élégantes, travaillées en relief ou ornées de cuirs multicolores. Chaussure commode, qui laisse le pied à l’aise et permet les plus longues étapes. Avec ça, les voilà partis sur leurs routes pierreuses, d’une allure vive et élastique, le torse droit, la tête levée, sans balancer les bras. Les jours de marché, c’est un peuple entier qui se dirige vers la ville. Pendant des lieues on les dépasse ou on les croise, et la seule présence de ces migrations en masse vous renseigne sur la proximité d’une foire. Parmi la cohue des piétons, tous chargés de paquets, de vases, de corbeilles, et de ces torbas qui sont des sacs de tapisserie ou de poils de chèvre, maintenus sur le dos par des bretelles de corde, trotte la cavalerie des mulets et des ânes, sur l’échine un incroyable arrimage