142 LA FRANCE ET LA TURQUIE pris les Jeunes-Turcs pour des libéraux, tandis qu’au fond ils étaient des sectaires. L’âme musulmane ne saurait changer et les Jeunes-Turcs nous ont complètement trompés ! Avaient-ils tous les torts ? Certainement non ! D’abord ils n’ont jamais songé à faire de leur patrie la vassale d’une puissance européenne quelconque. En s’alliant à l’Allemagne, ils comptaient seulement s’en servir, quitte à l’abandonner ensuite. D’autre part, ils étaient trop avisés pour renier, dès leur avènement au pouvoir, l’influence française. L’aide de notre pays leur était indispensable au point de vue financier et nous représentions la nation nécessaire. Si nous avions mieux manœuvré, peut-être seraient-ils restés nos alliés? Mahmoud-Moukhtar ou Djavid-Bey auraient pu supplanter l’influence d’un Enver ou d’un Djemal. Or nous avons fait l’impossible pour qu’il en fût autrement. D’abord nous avons accepté le rattachement de la Bosnie-Herzégovine à l’Autriche sans beaucoup de protestations. Nous avons ensuite applaudi à la proclamation en royaumes de la Bulgarie et du Monténégro ; montré une satisfaction évidente en apprenant les révoltes d’Albanie et d’Arabie; admis avec indulgence la conquête de la Tripolitaine par l’Italie, et enfin salué avec enthousiasme la déclaration de guerre des états balkaniques à l’empire ottoman. Je ne saurais prétendre que ces proclamations d’indépendance, ces soulèvements ou ces guerres n’étaient point justifiés. Mais il eût fallu dans notre presse peut-être un peu plus de retenue vis-à-vis d’une puissance qui, depuis quatre siècles, nous était attachée par tant de souvenirs !