50 LA TURQUIE A TRAVERS L’HISTOIRE effacées et modestes, ayant l’air de céder à Enver et à Djemal qu’il fallait ménager à cause de l’armée. Il les dirigeait, en fait, comme des pantins, au-gré de ses désirs. Leur abandonnant les satisfactions du prestige militaire, il se contentait de gouverner dans l’ombre, en tenant, comme ministre de l’intérieur, le fil de toutes les intrigues politiques ou privées, grâce au grand maître de la police de Constantinople, Bédri-Bey, un fonctionnaire remarquablement intelligent, avisé et dénué de tout scrupule. Sous des dehors débonnaires et des manières tout empreintes de cordiale franchise, Talaat avait l’âme la plus fourbe qu’on puisse imaginer. Comment aurait-on pu supposer, en voyant ce gros homme h l’apparence si bonasse, qu’il cachait des instincts de bourreau et de chef d’assassins? Comme Enver, Talaat savait supérieurement donner le change sur ses sentiments et n’eût été son passé, on l’aurait pris pour un brave bourgeois assez insignifiant. Le regard seul, fixe et brillant, avertissait que le personnage devait être moins que bon ! Talaat était au fond tout aussi violent que ses acolytes. Dans les poches de son veston, il portait constamment deux revolvers chargés. On se rappelle que, lors de l’assassinat de Naziin-Pacha, en 1913 , Talaat tira sur lui, eû même temps qu’Enver. Ce qui domine chez cet homme, c’est la violence, résultant non pas d’un mouvement de colère ou de Contrariété, mais la violence froidement réfléchie. Tout est raison chez Talaat, et surtout raison d’État. On ne saurait l’accuser d’avoir recherché le pouvoir pour s’enrichir ou pour se grandir aux yeux des masses. Autant Enver et Djemal étaient orgueilleux,