48 LA TURQUIE A TRAVERS L’HISTOIRE milieu de leur société barbare et rétrograde, étaient ou des étrangers, ou des proscrits ayant résidé de nombreuses années en France, en Angleterre ou en Suisse. Et, en revenant à Enver-Pacha, disons que, s’il a gardé de sa race nombre de défauts : ruse, dissimulation, férocité, il a possédé aussi de rares qualités, d’intelligence, d’organisation et de ténacité, manifestées surtout dans des heures extrêmement critiques : je veux parler des Dardanelles. Alors que l’état-major allemand lui même considérait la partie comme perdue, Enver est resté persuadé que ses soldats resteraient fermes à leur poste, et, en effet, ils ont héroïquement tenu. Si Enver-Pacha a de terribles comptes à rendre au tribunal de ¡’Histoire pour les massacres d’Arménie, dont il est un des principaux auteurs, souvenons-nous d’autre part que nous n’avons point en face de nous un barbare, mais un soldat habile dont le plus grand tort a été de devenir germanophile, par défaut d’orgueil. Ne ravalons pas, chez nos ennemis, le courage ou l’habileté. Reconnaissons nettement ces qualités chez Enver. Notre franchise vis-à-vis-d’un ennemi ne saurait diminuer l’héroïsme des marins et des soldats, engagés sans préparation suffisante dans la plus formidable impasse de cette guerre : les Dardanelles, et dans la presqu’île infranchissable qui s’appelle Galli-poli. Notre échec est dû à des causes multiples que nous expliquerons plus loin, mais surtout à l’esprit de méthode et d’organisation d’Enver-Pacha qui avait su, en moins de deux années, refaire de la Turquie une grande puissance militaire.